La façon dont nous accueillons les femmes, hommes et enfants à nos frontières révèle qui nous sommes en profondeur. La question migratoire ne se résume pas à un simple enjeu politique : elle reflète nos valeurs communes et la solidité de nos démocraties. En tant que fille d’immigrés ayant fui l’Afghanistan sous occupation soviétique, et aujourd’hui dévouée à l’inclusion des personnes déplacées, je sais combien la migration reflète notre condition globale. Le traitement des plus vulnérables est un baromètre de la santé de nos démocraties, de notre sentiment de sécurité et de notre avenir partagé.
À l’approche des élections américaines, l’enjeu n’a jamais été aussi crucial. Si Donald Trump revient au pouvoir, les répercussions dépasseront largement les États-Unis, menaçant la stabilité de l’Union européenne (UE) et l’avenir de notre monde.
Lors de son premier mandat, Trump a fait de l’immigration un outil de division. Son administration a séparé des familles, interdit l’entrée aux ressortissants de pays majoritairement musulmans, et affaibli les protections d’asile, réduisant les migrants à de simples objets politiques. Un second mandat renforcerait cette rhétorique, dépeignant les migrants comme des menaces et les déshumanisant davantage.
En Europe, la migration est déjà un sujet sensible et source de division. Les partis nationalistes utilisent depuis longtemps une rhétorique xénophobe pour alimenter la peur et justifier un contrôle plus strict des frontières. Aujourd’hui, cette rhétorique a une influence croissante sur les politiques et sur les lois, certains partis cédant souvent par opportunisme politique. L’influence d’un Trump galvanisé par son retour au pouvoir renforcerait encore ceux qui voient dans la migration un levier pour diviser la société, sapant ainsi l’un des principes fondateurs de l’UE : la solidarité.
Le cri de ralliement de l’UE, « unis dans la diversité », est désormais en péril. Nos valeurs démocratiques font face à une épreuve décisive, intimement liée au traitement des migrants. Au-delà des milliers de vies abandonnées en Méditerranée, les partis politiques durcissent leur position sur la migration, érodant les principes de solidarité et de respect de l’individu, sans lesquels la démocratie n’est qu’une coquille vide.
En Hongrie, Viktor Orbán a qualifié les migrants de menaces, tout en acceptant opportunément la main-d’œuvre étrangère pour répondre aux besoins de son économie. En Pologne, le gouvernement de centre-droit de Donald Tusk soutient les réfugiés ukrainiens, mais considère les non-Européens comme des risques pour la sécurité. En France, le parti de Marine Le Pen a récemment introduit l’idée d’une citoyenneté de seconde classe pour les binationaux, tandis que l’actuel Premier ministre a déjà défendu un moratoire sur l’immigration non-européenne.
Même les pays scandinaves, traditionnellement progressistes, durcissent leurs politiques migratoires. Les Sociaux-Démocrates danois restreignent les conditions de séjour des résidents non-occidentaux, tandis qu’en Suède, un projet de loi envisage d’obliger tout fonctionnaire à dénoncer les immigrés sans papiers. Ces exemples illustrent un glissement vers des normes d’exclusion, rappelant les heures sombres de l’histoire européenne, menaçant le pacte social sur lequel repose l’UE. Si cette dernière ne préserve pas ses valeurs, des leaders autoritaires comme Vladimir Poutine, en embuscade, profiteront de ces fractures.
Il ne s’agit pas uniquement de valeurs : ce sont la paix et la sécurité qui sont en jeu.Durant son premier mandat, Trump a remis en question la pertinence de l’OTAN. Un second mandat pourrait entraîner un désengagement américain de l’alliance atlantique, exposant davantage l’Europe aux ambitions de Poutine, qui sait orchestrer des crises migratoires telles une arme pour semer le chaos. En facilitant le passage de réfugiés depuis la Biélorussie vers la Pologne et la Lituanie, Poutine alimente le sentiment anti-migrants en Europe, dans le cadre de sa guerre de désinformation.
Un retour de Trump serait une aubaine stratégique pour Poutine. La complaisance de Trump à l’égard de Poutine — que ce soit pour l’invasion de l’Ukraine ou les cyberattaques ciblées — a déjà permis au Kremlin de renforcer son influence. Un retrait américain de l’OTAN offrirait à Poutine une marge de manœuvre accrue pour étendre son pouvoir en Europe centrale et orientale, affaiblissant dangereusement les alliances de sécurité occidentales.
Cette menace, combinée au soutien d’Elon Musk, acteur majeur de la sécurité américaine, adresse un message glaçant à l’Europe : elle pourrait bientôt devoir relever ses défis sécuritaires sans le soutien fiable des États-Unis.
En amplifiant les discours pro-Trump sur sa plateforme X, Musk exerce une influence qui dépasse largement celle des réseaux sociaux. Sa technologie satellitaire, comme Starlink, a été cruciale pour l’Ukraine, assurant des communications sécurisées face à l’agression russe. Dans ce contexte, les échanges réguliers entre Musk et Poutine deviennent particulièrement inquiétants, car ils risquent de compromettre la sécurité de pays comme l’Ukraine, qui dépendent de ses technologies.
Mais son influence s’étend encore : en Pennsylvanie, il a proposé de payer des citoyens pour voter Trump, exacerbant les divisions et affaiblissant les normes démocratiques. Plus inquiétant encore, s’il rejoint un gouvernement Trump, Musk pourrait s’affranchir des limites éthiques dans des domaines stratégiques comme la défense, la technologie et l’espace.
L’Europe et les États-Unis sont étroitement liés, chacun dépendant de la stabilité de l’autre. George C. Marshall avait bien saisi cette interdépendance, exhortant les États-Unis à « contribuer au retour de la santé économique mondiale, sans laquelle il ne peut y avoir de stabilité politique ni de paix assurée. » Près de huit décennies après le Plan Marshall, la stabilité des États-Unis reste cruciale pour la sécurité de l’Europe.
Dans quelques jours, l’Europe pourrait se retrouver isolée face à la montée de l’autoritarisme et aux agressions croissantes de Poutine. L’appel du ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, à se préparer à une guerre d’ici 2029 en est un sinistre rappel. L’UE devra puiser dans ses valeurs fondatrices et unir ses citoyens pour affronter ensemble ces menaces croissantes.
En ce moment critique, l’Europe ne peut renoncer ni à la migration, ni à la démocratie, ni à la sécurité face aux agressions de Poutine. Un second mandat de Trump, combiné à l’influence de figures comme Musk et Poutine, menacerait des décennies de progrès, reconfigurant l’ordre mondial de manière potentiellement irréversible.
Alors que les idéaux démocratiques s’érodent, le monde risque de prendre un chemin sombre. L’Europe et les États-Unis, malgré leurs imperfections, ont été des piliers de la démocratie, des droits humains et du progrès social. Si ces idéaux s’affaiblissent, les répercussions se feront sentir à l’échelle mondiale.
L’Europe doit rassembler ses forces, remobiliser son socle fondateur, et regagner la confiance de ses citoyens. La migration n’est pas une menace ; elle est une réalité exigeant des solutions humaines et pragmatiques. La démocratie n’est pas acquise ; elle nécessite une vigilance continue. La sécurité va au-delà des frontières : elle repose sur la défense des principes qui garantissent la paix.
Si Poutine cherche à diviser l’UE par la migration, ses dirigeants doivent en faire un moteur de résilience et de renouveau. Des politiques qui valorisent le potentiel de la migration pourraient transformer cette arme de division en une source d’unité, de force, et en compétence.
Ce message doit être pleinement incarné par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et les autres leaders de l’Union, mobilisant les citoyens autour de cette cause essentielle. À l’instar de Kamala Harris, qui a ouvertement qualifié Trump de fasciste, les dirigeants européens ne peuvent plus détourner le regard.
Les prochaines élections — et la réponse de l’Europe — ne détermineront pas seulement la paix sur notre continent, mais aussi l’avenir de l’ordre mondial et notre identité collective, tant à l’intérieur qu’au-delà de nos frontières.
Par Fatemeh Jailani, COO de SINGA et ambassadrice du Pacte Climatique de l’UE. Citoyenne franco-américaine, Fatemeh vit en Europe depuis quinze ans et se consacre à promouvoir une société plus unie en agissant sur les fondements sociaux. Elle est directrice des opérations de SINGA Global, une organisation qui connecte les nouveaux arrivants avec les communautés locales via l’entrepreneuriat, l’inclusion sociale et les échanges culturels, tout en redéfinissant les récits migratoires et en créant des espaces de dialogue et d’innovation sociale. SINGA est également membre fondateur de Starting New, une coalition formée avec Forward·Inc, Startup Migrants et Migration Policy Group, axée sur des réformes politiques au niveau de l’UE pour créer des parcours plus inclusifs pour les nouveaux arrivants.