Dix mois après la chute de Kaboul et quatre après le début de la guerre en Ukraine, la Journée mondiale des réfugiés s’est déroulée lundi 20 juin dans la plus parfaite indifférence des autorités politiques et des médias en France. La veille, en envoyant 89 députés d’extrême droite au Parlement, les élections législatives ont confirmé la banalisation des idées xénophobes et donné un rôle pivot aux élus du Rassemblement national qui augure le pire pour les droits fondamentaux et les conditions de vie des nouveaux arrivants en France.
Il est pourtant urgent de ne plus traiter la migration comme une série de crises, mais bien comme un phénomène structurant, durable et porteur d’opportunités. La crise est devenue un lieu commun, propice à des discours politiques mettant à l’épreuve les peuples face aux périls en cours : crises économique, sanitaire, écologique… Les « crises migratoires » viendraient tester notre capacité à « résister et repousser l’invasion » selon les uns, à être « solidaires dans la fermeté » selon d’autres, mais véhiculent surtout une vision déformée de la réalité et des représentations négatives des migrations.
Les migrations, donnée structurante et pérenne
Les migrations sont et seront une donnée structurante et pérenne dans un monde globalisé et connecté, a fortiori placé sous le triple éteignoir des inégalités économiques, des conflits armés internationaux et du réchauffement climatique. Aucun mur, aucune police, aucune loi ne les empêchera. Affirmer le contraire est aussi absurde que prétendre que la Terre est plate.
Le 24 février, les troupes russes sont entrées en Ukraine. En un mois, la guerre a précipité 3 millions de personnes sur la route de l’exil vers l’Europe. En trois mois, ce sont 6 millions d’Ukrainiens qui ont trouvé refuge en dehors de leurs frontières. Pour mémoire, lors du conflit en Syrie et en Irak en 2015, l’Europe avait accueilli 1 million de réfugiés en un an. Voilà qui donne à chacun un ordre de grandeur de l’effort fourni, notamment par les pays frontaliers de l’Ukraine.
La mesure de la tragédie
L’Europe, cette fois-ci, a pris la mesure de la tragédie qui se déroulait sous ses yeux et de sa responsabilité historique. Nous avons salué l’activation de la directive qui a attribué la protection temporaire de l’Europe à tous les réfugiés venus d’Ukraine. Ce précédent montre que l’Union européenne a les moyens d’accueillir et parfois même dans de très bonnes conditions celles et ceux que la guerre a privés de leur foyer, de leur pays et de leur emploi. Cela justifie que cette directive s’applique à l’avenir à d’autres tragédies humanitaires même quand elles se déroulent sur d’autres continents.
Reste maintenant à rendre vraiment inclusives l’Europe, son économie et ses sociétés. Des millions d’Européens le réclament, des organisations citoyennes et certaines entreprises y sont prêtes et s’y préparent. Mais il manque un signal public clair des institutions européennes et des États membres. Le gâchis est considérable. L’absence d’une organisation inclusive de notre économie et de notre société se solde par la fuite des talents vers d’autres cieux et autant d’innovations et de potentiel qui trouveront à s’épanouir ailleurs. Cela alimente, en outre, la discorde et l’intolérance.
Au gré des besoins de main-d’œuvre
Les compétences et le regard neuf que posent de nouveaux arrivants, rendus plus agiles, plus résistants, plus forts par l’épreuve de la migration, sont une chance considérable que mesurent déjà toutes les organisations, parmi lesquelles de nombreuses entreprises, petites ou grandes, qui font le choix de l’inclusion et de l’interculturalité.
Le débat sur l’employabilité des nouveaux arrivants est symptomatique des choix que nous devons faire. Aujourd’hui, ce serait aux nouveaux arrivants de combler les trous dans la raquette du marché du travail, quitte à connaître le déclassement et la précarité même avec un emploi. Nous considérons qu’il n’est pas de notre responsabilité de diriger les flux des nouveaux arrivants au gré des besoins de main-d’œuvre de l’économie sans le moindre égard vis-à-vis de leurs aptitudes et projets personnels. Cette approche est déshumanisante et continue de regarder les migrations sous l’angle des nombres, déniant aux individus en exil leur individualité, leurs espoirs, leurs histoires et leurs désirs.
Abandonner les postures martiales
Nous croyons aux bénéfices mutuels de l’inclusion, pour les nouveaux arrivants et les citoyens des pays d’accueil. Des entreprises l’ont compris, elles changent déjà leur organisation pour devenir inclusives et font évoluer leur management pour qu’il devienne interculturel. C’est le sens de la Charte de l’inclusion lancée par Singa et Utopies, qu’ont signée plus de 40 entreprises françaises et 10 réseaux professionnels. Ces coalitions sont nouvelles, inédites même.
Ces pionniers doivent être rejoints par d’autres, des collectivités locales notamment. Si les États voulaient bien abandonner quelque temps leurs postures martiales, souvent électoralistes, sur les migrations, ils observeraient qu’autour d’eux, des citoyens, des acteurs non gouvernementaux et des entreprises s’allient pour développer des solutions qui concilient le respect de la dignité humaine et les formidables opportunités d’innovation et de cohésion qu’apportent les millions de femmes et d’hommes qui nous rejoignent.