Si l’on veut que le confinement ne soit plus une catastrophe économique et sociale, une seule solution : créer du lien, inlassablement. Bonne nouvelle, c’est facile.
Venez ! Décrochez votre téléphone, écrivez un mail, engagez vous dans les innombrables contributions de parlementaires, tests, chaînes de solidarité et analyses. Vous allez rompre la monotonie du confinement, révéler vos talents, mieux aiguiser votre vision du monde, et apporter votre pierre à l’édifice de projets de société alternatifs, qui fleurissent depuis quelques jours, en ligne et en nombre. À croire que le confinement est un engrais exceptionnel pour la pensée du lien social.
En attendant que cette société nouvelle fleurisse, c’est souvent la solitude et l’isolement. Tous ces sourires qu’on ne voit plus, ces choses qu’on n’apprend pas, ces amours qui ne naissent pas, ces rencontres enrichissantes qu’on ne fait plus, car on n’appelle que ceux que l’on connaît déjà. Et les plus précaires et isolés, eux, ne connaissent qu’un travailleur social ou le commerçant du coin. Aujourd’hui, loin d’être davantage habituées à la solitude, elles vivent ce confinement encore plus difficilement, parce qu’on a coupé leur petit lien avec la société.
Il n’est pas de réponse facile à une telle crise. Nous n’avons pas de formule magique pour prévenir ou empêcher la prochaine, si ce n’est compter sur le fait que le déni, qui était le nôtre, nous fasse réfléchir a posteriori. En revanche, si l’on veut survivre aux prochaines crises (elles se répèteront, c’est une certitude), il est temps de refaire du lien social le ciment de notre politique.
Les politiques de tous bords (ou presque) nous rebattent les oreilles du “vivre ensemble”, mais les occasions de créer du lien social avec l’autre (l’autre, c’est le jeune quand on est vieux, l’étranger quand on est français, le blanc quand on est noir, le porteur de handicap quand on n’en a pas…), ces occasions s’amenuisent année après année. Les réseaux digitaux creusent plus souvent les silos sociaux qu’ils ne les contournent, le prix du loyer accentue la ségrégation spatiale, et l’on ferme les frontières en guise de réponse, abandonnant de facto les rares efforts d’une coordination pourtant plus que jamais nécessaire (où l’on voit même l’Europe, pionnière de la collaboration politique, tomber dans les pièges des dilemmes du prisonnier).
Alors comment recréer ce lien social qui aurait disparu ? Ou comment le créer pour qu’il se hisse à la hauteur de nos nouveaux défis écologiques, socio-économiques, et aujourd’hui sanitaires ? Le lien social ne se crée pas seulement en venant en aide aux plus démunis. Il n’est pas question uniquement de générosité ou de charité. Il est question de fabriquer une société où l’autre est a priori considéré, au moins comme son égal, voire comme une richesse, parce que sa différence enrichit notre vision du monde. Et il y a une méthode pour y parvenir. Promouvoir la diversité de genre, de conviction et de spiritualité, de génération, de langue, de culture, et travailler l’inclusion, partout, tout le temps, devrait être l’inlassable mission de nos institutions publiques et privées. Parce que c’est la seule façon de faire bloc. De faire société, comme on dit maintenant.
Depuis huit brèves années, comme ses partenaires au sein du laboratoire de la fraternité, SINGA crée du lien social, de la confiance et de l’amitié entre les nouveaux arrivants et leur société d’accueil ; les locaux, ce sont ceux qui se sentent chez eux instinctivement ou petit à petit. Les nouveaux arrivants, ce sont ceux qui n’éprouvent pas encore ce sentiment, ceux qui sont venus enrichir et renouveler le paysage des locaux, avec leur diversité, leurs talents et leurs soucis, ceux qui viennent combler leurs métiers en tension et leurs équipes de foot championnes du monde.
SINGA, dans une vingtaine de villes du monde, met en relation deux, dix ou cent personnes chaque jour, parce qu’elles partagent quelques chose (affinités), ou parce qu’elles sont au contraire complémentaires (un même projet). En 22 jours de crise et de confinement en France, les mises en relation n’ont pas cessé. Mentors et entrepreneurs du lien social travaillent ensemble pour trouver des solutions économiques et préserver l’impact social, économique et culturel créé depuis 4 ans dans nos incubateurs. Les colocataires qui se rencontrés via SINGA offrent aujourd’hui, via leurs chartes de cohabitation, des manuels que tous les confinés de monde devraient lire ! Les milliers de citoyens qui devaient se rencontrer dans les événements prévus ce printemps à Lyon, Montpellier, Paris, et 7 autres villes françaises, se retrouvent spontanément sur les réseaux… Parce que le confinement n’empêche pas de refaire le monde à plusieurs. Au contraire, il rend l’urgence de le refaire encore plus évidente.
Venez parler avec les autres ! Écrivez-nous, appelez-nous, zoomez, skypez avec un de nos groupes locaux ! Venez être buddy, maker, nouveaux inventeurs du lien social, contributeurs à notre projet de société. Les autres, c’est nous et c’est vous. Venez vous enrichir à nos côtés. Venez vous mettre sur le même plan, sur le même banc, à la même table (virtuelle encore quelques semaines), juste pour vivre, comme ça, pour voir. Venez créer une société où le “vivre ensemble” n’est plus une question de condescendance avec ceux qui ont moins, mais une question de survie et d’intelligence. C’est l’objet des rencontres téléphoniques pour refaire le monde que nous lançons, cette semaine, 20 jours après le début du confinement, partout en France.
Une société où le lien social est au coeur de la politique n’aura pas, lors de la prochaine crise, des milliers d’Ehpad ou de centres d’hébergement à “sauver”. Les mécanismes d’entraide auront permis aux centres d’hébergement de se vider avant que la contagion n’arrive, aux seniors de retrouver temporairement leurs familles pour un confinement plus efficace, aux plus démunis de trouver un foyer ponctuel qui rassure, et donne confiance en nos infrastructures — et permet précisément de tordre le coup aux dilemmes du prisonnier.
C’est l’excellente et paradoxale nouvelle que nous apporte cette crise : il faut davantage vivre ensemble, plus que jamais, pour mieux survivre au confinement.