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Retour sur | 08 Mars 2023

Être une femme, racisée et entreprendre : témoignages

À l’occasion de cette journée symbolique qu’est le 8 mars – dédiée à la lutte pour les droits des femmes, l’égalité et la justice – nous sommes allés à la rencontre de trois entrepreneures du réseau SINGA pour explorer les questions de sexisme et de racisme au travail. Rencontre avec Loriane Thomas, Nadia Al Soleman et Raby Hamelin.

Quels sont les défis quand on se lance dans l’entrepreneuriat lorsqu’on est une femme racisée ? C’est la question qu’on vous propose de creuser avec trois femmes inspirantes du réseau SINGA. 

Loriane Thomas vient du Gabon, elle est arrivée en France il y a une quinzaine d’années. Elle est maman de deux enfants, consultante en marketing digital en freelance, et créatrice du podcast Orèma à destination des mères entrepreneures multiculturelles.

« En échangeant avec des mamans qui ont des projets d’entreprise ou qui se lancent dans l’entrepreneuriat, j’ai réalisé que nous faisions pour beaucoup face aux mêmes challenges, et de là m’est venue l’idée de la Communauté Orèma pour la création de laquelle j’ai été accompagnée par SINGA à Lille. Je me suis reconnue dans les valeurs de diversité promues par SINGA car ce sont les mêmes que je défends avec Orèma. » 

Nadia Al Soleman est formatrice FLE (Français langue étrangère), présidente de SINGA Nantes et fondatrice de l’association AREA pour la réussite des élèves allophones dont la mission est d’accompagner les familles allophones (élèves et parents ) à la scolarité.

« Je suis arrivée de Syrie avec mon mari et ma fille en 2016, étant professeure de français ayant une expérience de dix ans j’ai décidé de continuer mes études pour avoir un master 2 en français langue étrangère. J’ai rencontré SINGA en 2020 via mon réseau et c’était le début de la création de Singa Nantes, j’ai intégré la première promotion et c’était le début d’un parcours enrichissant qui a abouti à la création de l’association AREA comptant aujourd’hui deux salariées et une vingtaine de bénévoles. Après mon expérience avec SINGA j’ai décidé d’intégrer l’équipe et de défendre en tant que présidente de SINGA Nantes la cause pour laquelle SINGA lutte tous les jours. » 

Raby Hamelin a créé un dispositif de formation et d’insertion professionnelle des femmes dans les domaines de la beauté et du bien être. La Beauté du Monde Inclusive a pour but de rendre le monde de la cosmétique et de la beauté plus inclusif et responsable.

«  J’ai créé La Beauté du Monde Inclusive pour répondre aux difficultés d’accès au travail des femmes et notamment par l’insertion, encore largement orientée vers des métiers prioritairement destinés aux hommes. Et pour permettre aux femmes de concilier leurs cultures d’origine et leurs aspirations à l’autonomie aux attentes d’un secteur économique en pleine expansion. »

Place à l’échange…

En 20 ou 30 ans, l’entrepreneuriat est devenu une industrie avec des travailleurs qui peuvent véhiculer ou répéter, sans forcément le comprendre et le vouloir, un système qui peut être excluant. Quelles sont les difficultés et les obstacles systémiques que les femmes rencontrent lorsqu’elles souhaitent entreprendre ? 

Nadia Al Soleman
Le parcours d’entreprenariat exige du courage, de la volonté et de la prise de risque que ce soit pour les hommes ou pour les femmes. 

Quand on parle d’une entrepreneuse, mère et nouvelle arrivante, la marge de risque à prendre doit être limitée. C’est pourquoi on fait l’impossible pour ne pas échouer même si ça demande parfois de veiller tard la nuit devant l’écran de l’ordinateur et de travailler pendant le temps consacré à la famille et aux enfants.

À partir de mon expérience et celle d’autres femmes que je rencontre chez SINGA, le plus grand obstacle c’est de ne pas être entourée, encouragée et soutenue par le partenaire de vie. J’ai eu la chance d’avoir tout le soutien et l’encouragement, l’aide et le conseil ce qui n’était pas le cas pour de nombreuses femmes que j’ai connues et qui ont cédé à un moment donné devant la grande charge de pression et de difficultés. 

Ces femmes avaient besoin qu’on croit à leur capacité de réussir et à leur compétence et leur savoir faire.

Penses-tu que les difficultés sont plus grandes pour les femmes racisées ? 

Nadia Al Soleman
Tout à fait, c’est pire que ce que l’on peut croire dans le cas des femmes racisées car les difficultés surgissent à plusieurs niveaux. Il y a les difficultés qui concernent des croyances, des cultures des sociétés d’origines où la question se pose sur la légitimité de la femme à entreprendre, voire sur son autonomie et sa liberté de choix. Nous ne devons pas oublier que le combat des femmes dans ces sociétés marque un décalage important entre ces dernières et la société française.

Il y a également les difficultés liées à la légitimité dans la société d’accueil. Ce qui demande un double effort pour être reconnue en tant que nouvelle arrivante d’abord et femme ensuite. C’est une difficulté à laquelle j’ai été confrontée à plusieurs reprises mais qui n’a fait que renforcer ma motivation et ma volonté de contribuer au changement du regard sur la migration et surtout sur les femmes migrantes. 

Des propos déplacés, un ton condescendant… Aux États-Unis, des femmes ont créé l’adresse mail d’un faux collègue masculin pour démontrer la différence de traitements entre les hommes et les femmes. Une fois lancée dans l’entrepreneuriat, quels sont les stéréotypes auxquels les femmes continuent à devoir faire face ?

Loriane Thomas

Je ne suis pas étonnée de lire cela car pendant mon expérience en tant que salariée j’en ai également fait les frais.

Une fois à mon compte j’ai fait le choix de viser majoritairement des clientes femmes et parfois mamans car je trouve qu’il y a plus de compréhension et de respect entre personnes qui ont des points communs. J’ai par ailleurs constaté que les femmes entrepreneures étaient beaucoup infantilisées par leurs clients ou homologues masculins, mais aussi parfois hyper-sexualisées. 

Il y a enfin le stéréotype autour de l’âge, à l’heure où les jeunes femmes s’intéressent de plus en plus tôt à l’entrepreneuriat, elles ne sont pas suffisamment prises au sérieux du fait de leur précocité.

Une expérience réalisée en France a montré qu’une femme ayant un nom à consonance sénégalaise avait 8,4% de chances d’être appelée pour un entretien d’embauche, alors que les chances d’une femme ayant un nom à consonance française s’élevaient à 22,6%. Est-ce qu’on observe également ces discriminations raciales dans le domaine de l’entrepreneuriat ? 

Loriane Thomas
C’est une très bonne question, et je ne doute pas que les résultats seraient similaires en parlant d’entrepreneuriat. Je dis cela car les biais raciaux sont encore profondément ancrés dans notre société. 

Néanmoins dans le digital, domaine dans lequel j’exerce, j’observe que les femmes racisées ou voilées ont plus de facilité à prendre la parole et à se faire une place. Il y a une plus grande liberté qui permet de se rendre visibles afin de choisir ou d’attirer des clients qui nous ressemblent ou qui seront parfaitement à l’aise avec notre identité. 

L’avantage c’est qu’un entrepreneur travaille avec ses clients et non par pour eux, il n’y a pas de hiérarchie comme lorsque l’on a un employeur. 

Parmi les leviers de l’entrepreneuriat des femmes souvent cités, la mise en valeur de rôles-modèles est souvent évoquée. Est-ce que tu penses qu’on a besoin d’ouvrir les imaginaires et les possibles, à travers de nouvelles héroïnes ? 

Raby Hamelin
Bien entendu, c’est toujours positif et utile de pouvoir faire référence et s’appuyer sur des initiatives ou des parcours inspirants et notamment de femmes.

Mais je ne pense pas que les femmes aient besoin de modèles ou de grandes figures pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Si elles ont un projet d’entreprise, qu’elles le portent au plus profond d’elles-mêmes, elles trouveront en elles l’envie, l’énergie et la force d’entreprendre. Plus que des modèles, elles ont d’abord et surtout besoin d’opportunités, de confiance et d’espaces pour défendre et valoriser leur projet. L’envie, le courage, la persévérance, l’initiative, tout cela vient avec le projet !

Qu’est-ce que tu conseillerais aujourd’hui, à toutes ces femmes qui souhaitent entreprendre et réussir ? 

Raby Hamelin
Je ne suis pas certaine de pouvoir donner des conseils… Je crois qu’il faut d’abord se faire confiance, à soi et à son expérience, rester combative, toujours, et laisser ses complexes de côté. Mais il faut aussi savoir s’entourer, écouter, y compris les avis divergents et savoir prendre le temps (même si on ne l’a pas toujours !) de la décision.